Voyage de M. Hunt et de ses compagnons de Saint-Louis à l'embouchure de la Columbia par une nouvelle route à travers les Rocky-Mountains.

Le 18 juillet 1811, MM. Hunt, Mackenzie, Crooks, Miller, Macclellan et Reed, accompagnés de cinquante-six hommes, une femme et deux enfans, qui étoient allés par eau de Saint-Louis au village des Aricaras, sur le Missouri, en partirent avec quatre-vingt-deux chevaux chargés de marchandises, de munitions, de vivres, de piéges pour prendre des animaux. Tout le monde alloit à pied, excepté les associés de la compagnie et la femme ou squâh. On fit route au sud-ouest, et l'on arriva sur les bords du Ramparré, petite rivière qui tombe dans le Missouri, au-dessous du village d'Aricaras. Le nom de Ramparré vient sans doute des chasseurs françois, car il signifie garni de beaucoup de forts. Le 18, on campa près d'un petit torrent à peu de distance de son confluent avec le Big-River ou Ouenned-Poréhou que l'on traversa le 21, et l'on campa le 24 sur les bords d'un de ses affluens. On avoit parcouru 67 milles, en se dirigeant un peu plus à l'ouest dans des prairies où l'herbe alloit jusqu'aux genoux, et où les chevaux pâturoient à leur aise. Le pays étoit nu. Quelques peupliers seulement croissoient le long des rivières.

Plusieurs personnes de la troupe étant incommodées, on resta en place jusqu'au 5 août. M. Hunt fit, dans l'intervalle, une visite à un camp des Indiens Châhays ou Cheyennes. « J'y achetai trente-six chevaux, dit M. Hunt, à bien meilleur marché que chez les Aricaras. Le camp étoit au milieu de la prairie, près d'une petite source. Les Indiens se chauffoient avec de la crotte de bison. Leurs tentes sont faites de peaux de cet animal bien préparées, proprement cousues ensemble, et soutenues par des perches qui se joignent au sommet; elles peuvent contenir cinquante personnes. Ces Indiens sont honnêtes et propres; ils font la chasse aux bisons; ils élèvent beaucoup de chevaux qu'ils vont échanger tous les ans chez les Aricaras contre du grain, des haricots, des potirons, et quelques marchandises. Ils avoient une douzaine de peaux de castor; mais il ne paroît pas qu'ils sachent prendre ces animaux au piége.

« Ayant changé la disposition de notre bagage pour que chaque cheval ne fût pas trop chargé, nous nous sommes remis en route le 6. Nous avions assez de chevaux pour que deux hommes en pussent monter un alternativement; et six étoient destinés aux chasseurs chargés de poursuivre les bisons. Nous avons traversé plusieurs monticules ou tertres isolés, composés d'une terre rouge de la consistance de la brique; d'autres marques indiquent aussi qu'ils ont subi l'action du feu; à la base de plusieurs, on voit des cendres et des pierres ponces. Ce pays, inégal, n'est pas abondant en herbe.

« Il paroît que, dans ces plaines, il y a eu autrefois des arbres épars; on en trouve des restes en putréfaction; quelques souches sont encore debout; on reconnoit, à ces restes; que c'étoient des pins et des chênes. Le 6, on campa sur un affluent de l'Ouenned - Porehou; le 7, dans la plaine, près d'une flaque d'eau; la crotte de bison servit de chauffage. On tua plusieurs de ces animaux, on en étoit entouré; comme c'étoit le temps du rut, ils faisoient un bruit affreux qui ressembloit à celui du tonnérre dans le lointain; les mâles déchiroient la terre avec leurs pieds et leurs cornes.

« Nous avions parcouru 42 milles le 6 et le 7. Ensuite nous ralentîmes un peu notre marche, afin que nos chasseurs, qui étoient restés en arrière, pussent nous rejoindre. Le pays devint montueux, et l'eau rare. Les collines étoient composées de rochers de grès blancs, et se dirigeoient du sud-est au nord-ouest. Nous y aperçûmes des big-horns. Nous faisions des feux sur les sommets, pour guider nos chasseurs. Nous nous servîmes d'abord de crotte de bison, ensuite nous pûmes employer du bois de pin ( 40 m. S. 0.).»

Le 11, on traversa uue chaîne de montagnes semblables aux précédentes; la route fut fatigaute à cause de sa roideur et du grand nombre de pierres; le 12, on passa deux affluens de l'Ouenned-Porehou, qui venoient du sud-ouest. L'un parut être la branche principale. On aperçut beaucoup de pétrifications, plusieurs personnes en ramassèrent pour des pierres à aiguiser (27 m.).

Comme nous supposions que nos chasseurs étoient restés à notre droite, nous avons, le 13, marché plus à l'ouest, et nous avons traversé un affluent du petit Missouri, large de trois cents pieds, rapide, bourbeux et rempli de tourbillons. Dans l'ouest, les montagnes sembloient barrer notre route. Trois de nos chasseurs revinrent au coucher du soleil (12 m.). »

Le 14, on campa sur un affluent du petit Missouri. La soirée fut très-froide. On avoit, au nord, des montagnes couvertes de pin; on les traversa le 15; le pays étoit extrêmement inégal; il le devint davantage le 17, et l'on ne put trouver un passage pour sortir de ces montagnes. On tua un big-horn; la chair en est bonne et ressemble beaucoup à celle du mouton. On trouve généralement ces animaux sur les montagnes où aucun autre ne peut aller; on en avoit aperçu plusieurs courant et sautant sur le bord des précipices. On vit aussi des cerfs à queue noire; ils sont plus gros que les cerfs rouges et ont de très-grandes oreilles. Leur chair n'est pas si bonne que celle du cerf rouge. Ils ont le bout de la queue noircie; on ne les trouve que dans les pays montagneux (43 m. S. 0. ).

Il fallut, le 18, quitter les montagnes et retourner vers le pays inégal. On y retrouva les chasseurs qui avoient tué huit bisons. Quand on eut campé à gauche de montagnes couvertes de pins, M. Hunt et M. Mackenzie gravirent les plus voisines; leur vue s'étendoit dans toutes les directions; ils voyoient, dans l'ouest, à une grande distance, des montagnes qui paroissoient blanches dans plusieurs endroits; ils supposèrent que c'é­toit le mont Big-Horn couvert de neige. Au-dessous d'eux, des troupeaux nombreux de bisons parcouroient la plaine (10 m.).

Le 19, on campa au milieu de collines près d'un étang d'eau limpide. Tout autour croissoient des roseaux, des groseillers, et des groseillers épineux à fruits jaunes et rouges. Les halliers de cerisiers offroient la marque des routes pratiquées par les ours noirs; de sorte qu'au moindre vent qui agitoient les buissons, on éprouvoit malgré soi un mouvement de crainte. Cependant on n'avoit encore vu que trois de ces animaux (21 m. S. 0.).

On s'arrêta, le 20, sur une branché du petit Missouri, que l'on regarda comme la plus grande. Le temps étoit froid et désagréable. Il gela pendant la nuit, la glace étoit de l'épaisseur d'un dollar; le pays étoit haut et inégal; c'est le point qui partage les eaux qui tombent dans le Missouri, de celles qui se rendent dans la Pierre-Jaune (34 m. O.)

Le 22, on rencontra une route que l'on supposa avoir été pratiquée par les Crows ou Absarokas en venant de chez les Mandanes. La petite rivière sur laquelle on campa, et qui couloit au nord, étoit sans doute un affluent du Powder-river. Le 23, on en trouva une autre branche; mais, avant d'y arriver, on passa par des montagnes et des ravines arides. La grande chaleur, le mauvais chemin, le manque 'd'eau, firent beaucoup souffrir; plusieurs personnes furent sur le point de perdre courage. Un chien de M. Mackenzie mourut de fatigue. Depuis que l'on voyageoit dans ces montagnes arides et nues, on ne tuoit plus de bisons qui se tiennent toujours près de l'eau. Cependant, le 25, on en aperçut dans le voisinage; les chasseurs les poursuivirent et en tuèrent cinq. La veille, quelques voyageurs avoient mangé un loup qu'ils avoient trouvé très-bon. On étoit campé sur un troisième affluent du Powder-river (58 m. O.).

On suivit ses bords pendant deux jours, il rouloit des eaux plus claires que le précédent affluent. Comme on tua beaucoup de buffles, on s'arrêta le 28 et le 29 pour faire sécher leur chair au feu (18 m. S. O.).

On quitta la rivière le 30, et l'on campa près du mont Big-Horn, que nous avions devant nous depuis si long - temps. Nos chasseurs avoient aperçu la veille des traces d'Indiens; depuis plusieurs jours nous étions aux aguets; ils nous découvrireut les premiers. Le 30 au soir, deux Absarokas vinrent à notre camp. Le lendemain matin, il en arriva un plus grand nombre; ils étoient tous à cheval; les enfans même ne vont pas à pied. Ces Indiens sont si bons cavaliers, qu'ils gravissent et descendent les montagnes et les rochers, comme s'ils galopoient dans un manége. On les suivit à leur camp; il étoit près d'un ruisseau limpide, sur le penchant de la montagne. Le chef vint à notre rencontre, nous accueillit amicalement, nous conduisit à ses tentes, et nous indiqua un endroit convenable pour y camper. Je lui fis présent de tabac, de couteaux et de diverses bagatelles pour ses gens; et je lui donnai pour lui un morceau de drap écarlate, de la poudre, des balles et d'autres choses ( 26 m. ).

On passa là journée du 1er septembre à acheter des robes et des peaux; on échangea les chevaux fatigués et blessés contre des chevaux frais; quelques voyageurs en achetèrent, ce qui en augmenta le nombre jusqu'à cent vingt-un, la plupart bien portans et capables de traverser les montagnes.

Le 2, on continua de voyager le long des montagnes, et on s'arrêta près d' une petite rivière qui est, dit-on, un affluent du Powder-river. On essaya, le 3, pendant la moitié de la journée; de sortir des précipices et des montagnes arides; il fallut rebrousser chemin et regagner les bords de la petite rivière. On avoit tué plusieurs élans très-gros (21 m.).

«Nous avions dans notre troupe, dit M. Hunt, un chasseur nommé Rose; c'étoit un tres-mauvais sujet plein d'audace. On nous avoit averti qu'il avoit formé le projet de nous quitter lorsque nous serions près des Absarokas, d'emmener autant dé nos gens qu'il en pourroit débaucher, et d'enlever nos chevaux. Ainsi nous faisions bonne garde pendant la nuit. Craignant ensuite que si, malgré notre vigilance, il réussissoit à effectuer ses mauvais desseins, il ne causât un tort considérable à notre expédition, et  que, de plus, ses plans ne fussent plus étendus que nous ne le soupçonnions; nous résolûmes de le prévenir. Nous avions, le 2 septembre, reçu la visite de quelques Absarokas, d'une horde différente de celle que nous venions de quitter, et qui étoit campée dans la montagne. Je proposai donc à Rose de rester avec ces Indiens, lui offrant la moitié d'une année de ses gages, un cheval, trois piéges pour les castors et d'autres marchandises. Il accepta ces conditions, et quitta aussitôt ses associés, qui, n'ayant plus de chef, continuèrent le voyage.

En conséquence, Rose alla joindre les premiers Absarokas que nous rencontrâmes. Leur chef, sachant que nous avions pris une mauvaise route, envoya, le 4, Rose pour nous le dire, et nous remettre dans le bon chemin qui traversoit les montagnes, et qui étoit plus court et meilleur. Nous rencontrâmes bientôt les Absarokas, qui alloient du même côté que nous; ce qui me fournit l'occasion d'admirer l'activité de ces Indiens à cheval; elle étoit réellement inconcevable; il y avoit entre autres un enfant attaché sur un poulain de deux ans; il tenait les rênes d'une main, et se servait fréquemment de son fouet. Je m informai de son âge; on me répondit qu'il avoit vu deux hivers; il ne parloit  pas encore.

On campa à la source de la petite rivière de la veille, et l'on y resta le 5, parce qu'on vouloit attendre le retour des chasseurs; ils revinrent le soir. On tua des bisons et un ours gris. On étoit au milieu du mont Big-Horn, ainsi nommé à cause de la rivière du même nom qui coule le long de ses flancs; ils se prolongent du nord-est au sud-est; c est une branche avancée des Rocky-Mountains; ils sont, couverts de pins, de beaucoup d'arbrisseaux et de plantes qui étoient actuellement en fleur (16 m.).

Nous fûmes rejoints, le 6, par huit Indiens et trois familles qui étoient de la nation des Flatheads et de celle des Snakes. En continuant notre route à l'ouest à travers les montagnes et les rochers, nous avons rencontré plusieurs beaux paysages, des sources abondantes, des pelouses verdoyantes, des groupes de pins, des quantités innombrables de plantes en fleur, et cependant il geloit continuellement.  Nous avons campé, le long d'un ruisseau qui coule au nord et se jette dans le Big-Horn.  Le terrain étoit couvert de groseilles des deux espèces, les meilleures que j'aie jamais mangées. Un de nos gens m'apporta des fraises qu'il venoit de cueillir. Nous avons tué un élan et plusieurs cerfs à queue noire.  Les bisons ont été très- communs dans ces montagnes, qui par là ressemblent à une cour de grange continue, mais ensuite l'on n'en voit plus un seul. Nous apercevions distinctement la troisième montagne qui. est couverte de neige; nous avions évité la première en nous dirigeant au sud (20 m.).

Etant descendus dans la plaine le 7, nous y avons marché jusqu'au 9, que nous sommes arrivés sur les bords du Big-Horn, nommé ici Wind-river, parce qu'en hiver le vent y souffle continuellement, ce qui empêche la neige de rester sur la terre. Nous avons campé deux fois le long de cette rivière. Le 8, au matin, les Indiens ayant reçu le prix d'un cheval qu'ils nous ont offert, nous ont quittés pour aller chez les Arrôpolous, tribu des Panis qui vivent le long de Plate-river. Un de nos gens laissa un fusil au camp; les Indiens l'emportèrent avant qu'il pût y retourner. Le soir, nous étions sur les bords d'une petite rivière qui reçoit les eaux d'un ruisseau abondant en castors.    

Le Big-Horn, dans l'endroit où nous étions campés, est rapide, clair, et large de 500 pieds. Nous pouvions voir au-dessous de nous l'ouverture dans les montagnes par laquelle il s'échappe. C'est un col, très- étroit bordé des deux côtés de précipices (45 m. O.).

Nous avons, le 10, suivi les bords du Wind-river, en remontant, à travers une belle plaine; quelques arbres croissent le long de la rivière, dans laquelle il n'y a pas de castors: ses débordemens ont couvert ses rivés de gravier. Nous vîmes deux ours, dont nous ne pûmes pas approcher. On pêcha des poissons qui ressembloient beaucoup au hareng. Le 11, nous avons traversé un affluent considérable du Wind-river venant des montagnes qui commencent au sud. Dans la plaine, nous avons souvent employé, pour faire du feu, l'absinthe qui y parvient à une dimension considérable; j'en traversai un hallier qui étoit dé ma hauteur à cheval et extrêmement touffu. Les deux espèces de groseilles étoient très- communes; nous avons vu des volées nombreuses de rouge- gorges et d'autres petits oiseaux. Nous avions, le 12, des montagnes au nord et au sud; elles sembloient se rejoindre à l'ouest. Nous avons traversé le Wind-river; la route a été montueuse (38 m.).

Du 13 au 15, on a passé et repassé le Wind-river, ainsi que deux de ses affluens, dont le plus gros venoit du nord-ouest. La terre produisoit en abondance du chanvre sauvage qui ressemble beaucoup au nôtre par sa taille, par la texture de l'écorce et par le calice de sa graine; mais celle-ci est plus petite et d'une couleur plus claire. Les montagnes se rapprochoient, par conséquent le pays étoit très-raboteux, le chemin très-tortueux entré les hauteurs. Le 15, on a quitté le Wind-river, et l'on a suivi au sud-ouest un chemin des Indiens dans les montagnes. Un de nos chasseurs, qui a été sur les bords de la Columbia,  nous a montré trois cimes d'une hauteur immense et couvertes de neige qui sont, dit-il, situées sur les bords d'un affluent de ce fleuve (50 m. S. 0.).

Le 16, on a fréquemment rencontré de la neige; il y en avoit des couches considérables sur le sommet et sur les flancs des montagnes exposés au nord. On a fait halte le long du Spanish- river, qui est un grand fleuve, sur les borde duquel, suivant le rapport des Indiens, habitent les Espagnols; il coule à l'ouest, et tombe, à ce que l'on suppose, dans le golfe de Californie. Nous étions entourés de montagnes,  dans lesquelles s'ouvrent de belles vallées verdoyantes où paissent de nombreux troupeaux de bisons, ce qui les rendoit bien plus intéressantes pour nous; car depuis plusieurs jours, nous n'avions pas vu un seul de ces animaux. J'observai trois différentes espèces de groseillers épineux; le commun à fruit rouge, arbuste bas, très-épineux; un autre à fruit jaune, excellent, tige non épineuse; le troisième à fruit rouge foncé, dont le goût ressemble à nos raisins d'hiver; il en a à peu près la grosseur, tige très-épineuse. Je vis aussi trois sortes de groseillers à grappe; un à fruit rouge, très-gros et savoureux, arbuste de huit à neuf pieds de haut; un autre â fruit jaune de la grosseur des groseilles ordinaires, arbuste de quatre à cinq pieds de haut; le troisième, à fruit d'un beau rouge, ayant à peu près la douceur de la fraise, ou plutôt insipide; buisson bas (20 m.).

On a continué, le 17, à suivre le cours du fleuve jusqu'à l'extrémité opposée des montagnes; il paroît abonder en castors et en loutres: en effet le pays, à une certaine distance en descendant, passe pour être très-favorable à  la chasse aux castors. Les oies et les canards sont très-communs (15 m. S. O.).

Le 18, on a quitté le fleuve; et, marchant au nord-ouest, on a remonté une petite rivière sortant des montagnes. L'on s'y arrêta pour faire sécher du bison qui pût durer jusque sur les bords de la Columbia et des rivières, on nous espérions de nous procurer du poisson. Quelques-uns de nos gens, en chassant, rencontrèrent des Indiens qui eurent l'air extrêmement alarmé, et prirent aussitôt la fuite. Je courus après eux avec M. Mackenzie, M. Macclellan et deux autres personnes; ce ne fut qu'au bout de huit milles que nous les découvrîmes à une certaine distance qui poursuivoient un bison: dés qu'ils nous eurent aperçus, ils s'enfuirent; nous les suivîmes, et nous atteignîmes deux jeunes gens dont les chevaux ne galopoient pas aussi bien que ceux: de leurs, camarades; ils parurent d abord très-inquiets, mais nous les 'eûmes bientôt tranquillisés; ils nous conduisirent à leur camp. C'étoit une troupe de Snakes venus dans ce canton pour y faire sécher de la viande; ils en avoient une grande quantité qui étoit très-grasse. Ils habitent sous des tentes de peau, et possèdent beaucoup de chevaux. Plusieurs d'entre eux n'ayant jamais vu de blancs, ils furent très-contens de notre visite, nous donnèrent à manger, et nous firent en tout un très-bon accueil. Ils n'avoient d'autres peaux que celles des bisons et une douzaine de castors que nous achetâmes, eu les encourageant à tuer davantage de ces animaux. Nous leur dîmes que nous reviendrions chez eux pour traiter; ils parurent satisfaits. Nous leur avons acheté près de deux milliers de viande de bison séchée, ce qui, avec plus de quatre milliers que nos gens avoient préparé, fera la charge de tous nos chevaux, à l'exception de six (8 m.).

Ayant ensuite franchi une petite montagne, on est arrivé par un bon chemin à un affluent de la Columbia à son entrée dans la quatrième chaîne, qui est celle des montagnes de ce fleuve. Nous avions de la neige de chaque côté et devant nous sur toutes les hauteurs (15 m. O.).

Le ruisseau dont nous suivions le cours en reçoit plusieurs autres et forme une petite rivière; nous l'avons souvent traversée à gué le 25 et le 26: sa rapidité est si grande, que l'on ne peut y marcher sans aide. Notre route a été très-tor tueuse au milieu des petites montagnes et sur le bord des précipices qui nous entouroient. Un de nos chevaux tomba dans la rivière, avec sa charge, d'une hauteur de près de deux cents pieds, et ne se fit pas de mal (20 m.).

Nous sommes sortis de ces montagnes le 27, et nous avons fait halte au confluent d'une petite rivière avec celle que nous avons vue dernièrement. Les Américains l'ont nommée Mad-river, à cause de sa rapidité. C'est sur ses bords, et un peu au-dessus de ce confluent, que sont situées les trois cimes que nous avions vues le 15. Nous aurions dû alors continuer à suivre le Wind-river, et traverser une des montagnes, parce que nous serions arrivés à la source de cette rivière; mais le manque de provisions nous avoir fait gagner les bords du Spanish-river (12 m. O.).

Comme c'étoit le lieu où l'on nous avoit fait espérer que nous pourrions continuer notre voyage par eau, nous avons, le 28, cherché des arbres propres à construire des pirogues. Ayant remonté, avec un homme, à douze milles de l'autre côté de la rivière, je vis de nombreux indices de castors, des traces d'ours gris et une troupe d'élans. Le soir, à mon retour, j'appris que personne n'avoit été plus heureux que moi dans ses recherches pour le bois; les arbres étoffent trop minces; c'étoient des espèces de peupliers dont la feuille ressembloit à celle du saule; il y avoit aussi des sapins, mais si remplis de nœuds, que nous désespérions que nos haches pussent en venir à bout. Les autres arbres que nous avons aperçus étoient des cerisiers, de petits pins, des sorbiers et des cèdres.

Ainsi nous avons transporté notre camp plus bas le 29, parce que les arbres y étoient plus convenables, et nous nous sommes préparés à travailler; mais je pensai que nous serions obligés de faire quelques pirogues de deux pièces. Le 30, on se mit à l'ouvrage, et on abattit beaucoup d'arbres qui ne convenoient pas; cependant, comme je craignois que la rivière ne fût pas navigable au-dessous du point où elle rentre dans les montagnes, M. Reed, suivi de deux hommes, alla l'examiner à la distance de quatre journées de marche en descendant.

Le 1er octobre, il plut dans la vallée, et il neigea dans la montagne. Plusieurs de nos gens partirent pour aller prendre des castors. La veille, deux indiens Snakes qui nous suivoient depuis les Absarokas etoient venus à notre camp; ils nous firent craindre que nous ne pussions pas naviguer sur la rivière. Le 2, M. Reed fut de retour. Au bout de deux jours de marche, il avoit été obligé de quitter ses chevaux qui ne pouvoient pas lui aider à franchir les montagnes et les rochers. Après une heure d'efforts pour y pénétrer à pied le long de la rivière, il fut contraint de renoncer à son entreprise; vouloir y arriver en faisant le tour à travers les hauteurs, eût été un travail sans fin. La rivière devenoit très-étroite; son lit tortueux étoit barré par de nombreux rapides. Il fallut donc chercher plus bas du bois pour les pirogues, et l'espérance de naviguer; car, autant qu'il put le voir, la rivière continuoit à couler dans le cœur des montagnes; il avoit d'ailleurs distingué des indices de castor et aperçu deux ours, un noir et un gris.

Il tomba, toute la journée du 3, de la pluie et de la neige mêlée de pluie; tout étoit préparé pour passer la montagne que l'on regardoit comme  la dernière. La tempête avoit cessé le 4; mais toutes les montagnes autour de nous étaient couvertes de neige. On passa le Mad-river, les chevaux ayant de l'eau jusqu'au ventre, et on campa au pied de la montagne (4 m.). Le 5, on franchit la montagne par une route facile et battue, la neige blanchissoit le sommet et le flanc septentrional des hauteurs. Les Snakes nous servoient de guides, quoique deux de nos chasseurs fussent venus, l'année dernière, dans ce canton (18 m.).

On fit halte prés d'un petit ruisseau qui baigne le côté nord-ouest d'une belle plaine où l'on voyagea le 6, et l'on s'arrêta sur une rivière qui couloit au nord-ouest, on la passa le 7; elle en reçoit plusieurs autres et grossit beaucoup; après s'être jointe à un autre d'un volume égal au sien, elle coule à l'ouest. On vit des troupes nombreuses d'antilopes; les cerises sauvages étoient communes, elles sont de la grosseur des cerises rouges ordinaires; elles n'étoient pas encore mûres. A douze milles au nord-ouest de notre camp, il y a une source chaude; j'y allai avec M. Mackenzie; elle n'est pas brûlante et répand constamment de la fumée (12 m.)

Il fit très-froid pendant toute la journée du 8; le vent d'ouest souftloit avec force, il tomba un peu de neige. Nous sommes arrivés au fort de M. Andrew Henry. Ce sont quelques petits bâtimens qu'il a élevés pour y passer l'hiver dernier, sur un affluent de la Columbia, large de 300 à 450 pieds. Nous espérions que nous pourrions y naviguer. Nous trouvâmes des arbres propres à construire des pirogues. Le 9, on en avoit déjà commencé huit, toutes en bois de peuplier; cet arbre, le tremble et quelques petits saules sont les seuls qui croissent en cet endroit.

M. Miller nous quitta le 10 avec quatre chasseurs et quatre chevaux pour aller prendre des castors. Ils emmenèrent les deux Snakes, et descendirent le long des montagnes, dans l'espoir de trouver une troupe' d'Indiens dont ils espéroient obtenir des renseignemens utiles pour leur chasse.

Tous les soirs, on prenoit quelques castors et de petites truites saumonnées, Le 14, nous reçûmes la visite d'un Snake à demi mort de faim, et couvert de haillons.

Le 17, tout étant prêt pour notre embarquement, nous avons enterré nos selles dans un endroit que nous avons montré aux deux jeunes Snakes qui ont promis d'en prendre soin, ainsi que de nos soixante-dix-sept chevaux, jusqu'au retour de l'un de nous. Le pauvre diable que nous avions vu le 14 est revenu avec son fils encore plus déguenillé que lui; nous leur avons donné à manger, ils ont ramassé les pattes et les entrailles des castors et nous ont dit adieu. Les habitans de ce pays doivent souffrir beaucoup par le manque de gibier. Les bisons viennent ici dans certaines saisons, leurs traces sont nombreuses; il y a aussi des élans et des antilopes extrêmement farouches. Durant notre séjour, le vent a soufflé constamment de l'ouest, et souvent avec beaucoup de force; j'avois observé que c'est le vent dominant dans ces montagnes où il cause des dégâts considérables en renversant de grands arbres sur un vaste espace, et emportant leurs branches à des distancés prodigieuses.

Les cargaisons étant placées dans nos pirogues, nous nous y sommes embarqués le 19. La force du courant nous a fait voyager avec rapidité, et nous n'avons pas tardé à passer la petite rivière dont j'ai parlé, le 7. Après son confluent avec le Mad-River, elle devient assez considérable pour que les embarcations de toute dimension y puissent naviguer; son eau est d'un vert léger. Comme elle n'a pas de nom, je lui donnai celui de Canoe-River. Ses bords sont couverts de petits peupliers. Plusieurs indices me firent penser que les ours gris avoient, depuis peu de jours, visité les halliers; les castors, les canards et les oies y sont très-communs. Il a fait froid et neigé toute la journée (30 m. S.).

A mesure que nous avancions, la rivière devenoit plus belle et s'élargissoit; un espace de 1200 à 1800 pieds séparoit les deux rives. Nous avons parcouru 40 milles le 20; mais, pondant les vingt derniers, le lit de la rivière étoit entrecoupé de rapides; il y en a deux autres un peu plus bas. En y passant, deux pirogues s'emplirent d'eau, il fallut s'arrêter de bonne heure; j'envoyai ma pirogue et un autre à leur secours. Les hommes furent sauvés, beaucoup de marchandises et de provisions, ainsi qu'une pirogue, furent perdues. On continuoit à avoir à gauche les montagnes parallèles avec la rivière. Il faisoit froid. On avoit encore en vue le Pilot-Knob, (sommet du pilote), aperçu le 15 septembre (40 m. S. E.).

Après avoir passé deux rapides, le 21, on est arrivé à un portage d'un mille et un quart; où a transporté par terre les marchandises, et traîné les pirogues. La rivière est resserrée entre deux montagnes à pic qui, pendant près d'un démi-mille, ne lui laissent que soixante pieds de largeur en quelques endroits, et quelquefois moins. (6 m.)

On fit passer les rapides aux pirogues que l'on conduisoit avec une corde, et l'on ne tarda pas â se rembarquer le 21. Ce fut une suite de rapides, à deux desquels il fallut renouveler la manœuvre du portage. Une des petites pirogues s'emplit et chavira; des marchandises furent perdues (6 m.).

On allégea les pirogues pour passer un rapide rocailleux le 23; on en rencontra ensuite plusieurs qui ne furent pas dangereux, mais le courant étoit très-fort. Les castors, les oies, les canards étoient communs; on ne vit d'autres bois que des peupliers et des saules; il y avoit dans la plaine des poiriers sauvages. Les prairies offroient des traces de bisons; elles étoient anciennes. On aperçut de temps en temps des volées nombreuses de pies et de rouge-gorges. Les montagnes continuoient dans différentes directions. (75 m. S.)

Le courant diminua de force vers la fin de la journée; le Canoe-River reçoit, de chaque côté, une petite rivière. Une troupe de Snakes et de Chochonis a pris la fuite à notre aspect. Nous avons trouvé dans leur camp des petits poissons qui n'avoient pas plus d'un pouce de long, des racines et des graines qu'ils faisoient sécher pour l'hiver, des vaisseaux tressés en osier et en herbe pour contenir l'eau, un filet à pêcher très-bien fait, en chanvre ou en ortie. Nous y avons laissé quelques menues marchandises, et deux couteaux. Ayant rencontré un peu plus bas trois de ces Indiens sur un mince radeau de roseaux, nous les avons accostés; ils étoient entièrement nus, à l'exception d'un morceau de robe de peau delièvre sur leurs épaules; leurs arcs et leurs flèches étoient artistement façonnés; l'arc est de bois de pin ou de cèdre ou d'os, renforcé par des nerfs d'animaux; la flèche est de roseau ou de bois bien dressé, et armée à la pointe d'une pierre verte. On a fait halte à une chute de trente pieds de hauteur perpendiculaire (70 m.)

Nous avons passé le 25 à la rive méridionale, et marché par terre pour éviter le saut au-dessous duquel il y a de petits rapides. Au bout de six milles, un rocher barroit la rivière d'une rive à l'autre; mais, comme il étoit moins haut à la rive méridionale, nous avons fait descendre les pirogues à la cordelle; plusieurs s'emplirent d'eau en passant à travers une suite de rapides; nous perdîmes encore des marchandises. La rivière étoit tortueuse, le pays inégal et rocailleux; les montagnes s'avançoient jusqu'au bord de l'eau à la rive gauche ou méridionale (12 m.).

Le 26, les rapides furent encore assez nombreux, mais peu dangereux; l'eau dans plusieurs endroits étoit tranquille. Nous sortîmes des montagnes, et nous fîmes route au N. O. Ayant mis pied à terre pour visiter un camp d'Indiens, ces pauvres gens s'enfuirent à notre approche. A force de faire des signes d'amitié, j'en engageai un à revenir; il étoit à cheval, et paroissoit mieux pourvu que ceux que j'avois vus auparavant. Il avoit des truites et de la viande séchée, il en échangea contre des couteaux; mais sa frayeur étoit si grande, que je ne pus l'engager à m'indiquer par signes la route que je devois prendre; il n'étoit occupé qu'à me prier de ne pas lui ôter son poisson et sa viande, et à se recommander à la protection du bon esprit (70 m.).

Le temps fut nébuleux, et il plut le 27 après midi. On n'avoit rencontré que deux rapides dans la matinée. La rivière avait près d'un demi-mille de largeur; les castors étoient nombreux (40 m. S.O.).

Notre voyage fut moins heureux le 28. Après avoir passé plusieurs rapides, on parvint à l'entrée d'un défilé. La pirogue de M. Crooks avoit chaviré, un de ses gens s'étoit noyé; beaucoup de marchandises furent perdues (18 m.).

J'allai, le 29, à la découverte avec trois hommes, pour examiner si nous pourrions faire passer nos pirogues du côté du nord. Je suivis pendant 35 milles les bords de la rivière, qui continue à se frayer un passage au nord-ouest à travers les montagnes. Son lit n'a pas plus de soixante à quatre-vingt-dix pieds de largeur; il est plein de rapides et entrecoupé de chutes de dix à quarante pieds de hauteur perpendiculaire. Les rives sont escarpées partout, excepté dans deux endroits où je suis descendu pour me procurer de l'eau. Nous n'avons eu pour souper que des fruits de rosier, puis nous nous sommes couchés près du feu. Nous revînmes au camp le 29, très-fatigués et très-affamés. Ceux que j'avois envoyés au sud avoient trouvé un endroit où ils supposoient que nous pourrions faire passer nos pirogues en les portant pendant six milles.

Notre position devenoit critique, nous n'avions plus que pour cinq jours de vivres. M. Reed et trois hommes descendirent la rivière le 31, pour essayer d'obtenir des Indiens des chevaux et des provisions, et tâcher de savoir si, au-dessous de l'endroit où j'avois été, il y avoit impossibilité de naviguer. Seize hommes, avec les quatre meilleures pirogues, allèrent tenter le passage. Ensuite nous mîmes de côté les objets qui nous étoient le plus nécessaires, et nous commençâmes à creuser des trous pour cacher le reste; car l'état de nos provisions ne nous permettoit pas de différer notre marche. La pluie tomboit si abondamment que nous ne pûmes pas finir les trous.

Le 1er novembre, nous changeâmes nos plans. Nos seize hommes avoient perdu une de leurs pirogues et leurs marchandises, en essayant de lui faire descendre les rapides à la cordelle; les autres étoient restées engagées au milieu des rochers. Ne voyant aucun moyen de continuer notre voyage par eau, nous nous sommes préparés à aller de divers côtés à la recherche des Indiens. La pluie mit encore obstacle à notre travail; il ne put être terminé que le 2, et nous déposâmes dans six cachettes notre bagage et nos marchandises. M. Mackenzie; avec quatre hommes, se dirigea au nord vers les plaines; dans l'espérance de trouver le Big-River. M. Macclellan et trois hommes ont descendu le long du Canoe-River; M. Crooks et trois hommes sont remontés vers sa source. Je restai avec trente-un hommes, une femme et deux enfans. Nous avions tendu un filet, on n'y trouva qu'un poisson. Je fis charger nos quatre pirogues, et l'on remonta la rivière. Nous perdîmes une pirogue, en doublant une pointe au milieu des rapides; la cargaison fut sauvée. Nos chasseurs, que nous rejoignîmes le 4, avoient pris huit castors; ce fut un petit soulagement. M. Crooks revint; il avoit trouvé la distance par terre plus grande qu'il ne l'avoit supposé; il conclut qu'il ne pouvoit pas atteindre au fort Henry et être de retour cet hiver; il abandonna donc l'entreprise. Je fis halte à mon camp du 27 octobre.

Je passai la journée du 5 à prendre toutes les dispositions nécessaires pour nous procurer des vivres pour quelques jours, jusqu'à ce que nous eussions des nouvelles de M. Reed. On prit quatre castors, on sécha la queue et les ventres; je fis visiter et exposer à l'air la viande sèche. Malgré nos efforts, il ne se trouva; le 6, qu'un poisson dans le filet. Deux des hommes dé M. Reed revinrent. Après avoir marché pendant deux jours, ils avoient reconnu que la rivière n'offroit pas de changement. Ainsi nous jugeâmes, avec M. Crooks, que le meilleur parti à prendre étoit de partager notre monde en deux troupes, et d'aller chacun de notre côté. En conséquence, j'enterrai encore plusieurs objets, et je fis des plus nécessaires des paquets de vingt livres.

Le 7, je retournai à notre camp du 28 octobre, ayant ainsi passé neuf jours à perdre notre temps à des tentatives infructueuses. Nous avons pris huit castors; mais nous avons mangé de la viande sèche pour une valeur plus considérable que celle de ces animaux.

Je fis encore enterrer des marchandises le 8, et je distribuai entre tout le monde ce qui nous restait de vivres. Chacun eut cinq livres un quart de viande. Nous avions en outre quarante livres de blé, vingt livres de graisse, et à peu près cinq livres de tablettes de bouillon. Voilà ce qui devoit servir à l'entretien de plus de vingt personnes.

Je m'acheminai au nord de la rivière, le 9 avec dix-neuf hommes, une femme et deux enfans; M. Crooks, avec dix-neuf autres, marcha au sud. Il plut dans l'après midi; nous avons campé sous des rochers au bord de la rivière, et nous avons eu beaucoup de peine à nous procurer de l'eau (28 m.).

 Nous avons marché, toute la journée du 10, sans pouvoir boire d'autre eau que celle que nous rencontrions dans des creux de rochers; enfin on parvint à un endroit où il étoit possible de descendre à la rivière: partout ailleurs ses bords sont formés par des rochers perpendiculaires hauts de 200 à 300 pieds; son lit est entrecoupé de rapides; mais, dans l'espace qui les sépare, l'eau est tranquille: aujourd'hui l'on auroit pu naviguer pendant trente milles. Quelques saules croissoient le long de la rivière (32 m. N. O.).

Ayant trouvé, le 11, une route frayée par les chevaux au bord de l'eau, j'ai préféré la suivre plutôt que de grimper de nouveau sur les rochers. Bientôt nous avons rencontré deux Chochonis. Ils me montrèrent un couteau qu'ils avoient reçu de quelqu'un de nos compagnons. L'un d'eux nous mena par un chemin qui nous éloigna de la rivière; on traversa une prairie, et l'on atteignit un camp de sa nation. Les femmes s'étoient enfuies avec une telle précipitation, qu'elles n'avoient pas eu le temps d'emmener ceux de leurs enfans qui ne pouvoient pas marcher; elles les avoient couverts de paille: les pauvres petites créatures eurent une frayeur horrible quand je la levai pour les regarder. Les hommes trembloient de peur, comme si j'eusse été un animal féroce. Ils nous donnèrent un peu de poisson sec que nous trouvâmes très-bon, et nous vendirent un chien. Un de ces Indiens nous accompagna; nous retrouvâmes bientôt la rivière; elle étoit bordée de leurs tentes; nous fîmes halte auprès. Une cinquantaine d'hommes vinrent nous voir; ils furent très-honnêtes et très-obligeans. La rivière étoit, comme la veille, entrecoupée de rapides (26 m. N.O.).

Je visitai quelques cabanes le 12; il y avoit beaucoup de saumons: ces cabanes sont en paille et en forme de meules de blé; elles sont chaudes et commodes; on voit à la porte de grands tas d'absinthe qui servent de chauffage. J'achetai deux chiens; nous en mangeâmes un à déjeuner. Ces Indiens avoient de bonnes robes de peau de bison. Ils me dirent qu'ils les obtenoient en échange de leur saumon. En les quittant, nous avons marché à une certaine distance de la rivière, et nous avons passé un petit ruisseau. On voyoit des montagnes au nord (16 m. N. O.).

On a campé, le 13, à un endroit où un petit ruisseau sort des montagnes (25 m. N. N. O.).

Le 14, nous avons rencontré un camp d'Indiens de trois cabanes; on voyoit tout autour une immense quantité de têtes et de peaux de saumon auxquelles tenoient encore des morceaux de chair, les meilleurs étant enterrés. Aucun de ces Indiens ne s'est enfui à notre approche: les femmes sont mal vêtues, et les enfans plus mesquinement encore. Cependant chacune a une robe, soit de peaux de bison, de lièvre, de blaireau, de renard, dé loup, ou peutêtre de peaux de canard cousues ensemble. Ces animaux, à l'exception des lièvres, sont rares dans ces plaines; l'on n'y a pas vu de bisons depuis long-temps (22 m. N. O.).

Nous avons acheté deux chiens et un peu de saumon le 15. Devant nous étoit une montagne couverte de neige; la rivière sembloit y pénétrer; ses bords étoient couverts de cadavres de saumons qui répandoient une puanteur horrible; son lit, autant que ma vue s'étendait, étoit sans rapides; nous vîmes quelques chevaux; leurs maîtres mirent grand soin à les tenir hors de notre chemin. Les Indiens nous parlèrent de quelques-uns des nôtres qui avoient passé par cet endroit (28 m. N. O.).

Bientôt le lit de la rivière se montra de nouveau le 16, resserré, rempli de rapides et bordé de rochers escarpés. Nous n'eûmes pour nourritiure que notre grain desséché et le reste de notre viande. Nous approchions des montagnes. Heureusement, le 17 j'achetai un cheval pour une vieille marmite, les Indiens ne voulant aucune autre de mes marchandises: j'obtins aussi deux chiens. Le pays étoit dégarni de bois; l'absinthe même avoit disparu. Nous avons campé sur le bord de la rivière (35 m. N. O.).

On mit le bagage sur le cheval. Il nous restoit un quart (un litron et demi) de grain et un petit morceau de graisse par homme: on continua, le 18, à marcher au nord-ouest en suivant la rivière (30 m.).

Nous nous sommes éloignés, le 19, d'après les conseils de quelques Indiens que nous  rencontrâmes, et nous avons traversé la prairie où nous n'avons pas trouvé d'eau: tout sembloit annoncer que nous ne serions pas plus heureux le lendemain. Quelle contrariété pour des hommes dont la nourriture se composoit principalement de poisson sec! par bonheur, nous avons acheté un cheval (25 m. N. E.).

Le 20, la pluie, qui avoit commencé à tomber depuis la veille, nous a donné un peu d'eau; ce soulagement est arrivé à temps; car plusieurs Canadiens avoient commencé à boire leur urine (33 m. N.). Il a continué à pleuvoir toute la nuit. Le 21, au lever du soleil, nous avons aperçu devant nous une rivière qui couloir à l'ouest; ses rives étoient bordées de peupliers et de saules. Des Indiens y avoient établi leur camp; ils avoient beaucoup de chevaux et étoient mieux vêtus que ceux que nous avions vus jusqu'à présent. Ils nous dirent que, plus haut, les castors sont communs dans cette petite rivière; dans les environs du camp, il y en a fort peu. En arrivant aux cabanes, je perdis mon cheval; un Indien me dit qu'on le lui avoit volé: il falloit pourvoir à nos besoins; j'achetai du poisson et deux chiens (12 m.).

Le temps étoit constamment à la pluie; nous ne pûmes pas faire beaucoup de chemin. Le 22, nous avons rencontré quelques Indiens. D'après mes observations et le peu dé mots que je pus entendre, la distance de ce lieu au Big-River étoit très-considérable; mais les Indiens ne m'apprirent rien sur la route que je dévoie suivre. Nous nous sommes procuré du poisson, sept chiens et deux chevaux. On a suivi la rivière (35 m. O.), nous l'avons passée le 24 un peu au-dessous de notre Canoe-River, qui continuoit à couler au nord. Les montagnes devant nous étoient partout couvertes de neige (18 m. N. O.). Le 25, malgré la rigueur de la saison, notre lassitude et notre foiblesse, nous avons traversé à gué une autre rivière qui venoit de l'est; nous avions de l'eau jusqu'à la ceinture (27 m.).

Les collines commencèrent à se montrer le 26; elles se dirigeoient à travers lés montagnes neigeuses. Nous avons passé une autre petite rivière qui coulé du même côté que les autres; elle nous a menés, le 27, à un défilé si étroit qu'il laissoit à peine l'espace nécessaire pour passer. Nous fûmes souvent obligés d'ôter le bagage de dessus nos chevaux et de marcher dans l'eau. On avoit pris la veille un castor qui nous fournit un mince déjeuner; nous avions soupé avec des tablettes de bouillon. Je fis donc tuer un cheval. Mes gens en trouvèrent la chair très-bonne. Je ne la mangeai qu'à regret à cause de l'attachement que j'avois pour le pauvre animal (33 m. N. O.).

Nous sommes arrivés, le 28, de bonne heure, à des cabanes de Chochonis. Ils venoient de tuer deux jeunes chevaux pour les manger. C'est leur seule nourriture, avec la graine d'une plante qui ressemble au chenevis et qu'ils broient très-fin. J'en achetai un sac, ainsi que des morceaux de viande de cheval qui étoit grasse et tendre. Craignant de rester plusieurs jours dans ces défilés, je campai près des Indiens, afin d'obtenir un cheval en échange de marchandises; mais, malgré tout ce que j'offris, je ne pus réussir. Quand les femmes virent que j'insistois, elles poussèrent des cris affreux; comme si j'eusse voulu les voler. Les Indiens me parlèrent de blancs qui avoient suivi le même chemin que nous, et d'autres qui avoient passé d'un côté différent, ce qui me tranquillisa beaucoup sur M. Croocks es sa troupe, surtout quand j'eus appris qu'il avoit encore un de ses chiens, puisque j'en pouvois conclure qu'il n'avoit pas trop souffert de la disette. Les Indiens ajoutèrent que je dormirois encore trois nuits dans les montagnes, et qu'après six nuits de route, j'arriverois aux chutes de la Columbia. Toutefois, j'ai eu peu de confiance à ce discours, parce qu'il m'a paru qu'ils étoient impatiens de me voir partir (10 m. N.).

Le mauvais chemin nous obligea, le 29, d'ôter la charge des chevaux, et quelquefois de nous éloigner de la rivière, Nous gravissions des montagnes si hautes, que je n'aurais jamais cru que nos chevaux pussent les franchir. Le 30, les montagnes resserrèrent encore davantage le cours de la rivière. Les sommets des hauteurs offroient des pins et étoient couverts de neige. Nous éprouvions les plus grandes difficultés pour avancer, car les rochers escarpés et les précipices s'avancoient jusqu'au bord de la rivière qui se dirige au N. E. et au N. N. O.  On tua un cerf à queue noire, qui nous fit un repas splendide (28 m.)

Le 1er décembre, il plut dans la vallée, il neigea sur les montagnes; les ayant gravies pour chercher un passage, la neige m'alloit à mi-jambe. Je vis beaucoup de cerises noires, qui étoient excellentes, parce que la gelée les avoit dépouillées de leur âpreté. La neige tomboit en si grande abondance sur les montagnes où nous devions passer, que nous ne pouvions rien voir à un demi-mille devant nous  Il fallut donc rester en repos le 2. On avait pris, la veille, un petit castor; nous n'avions plus rien à manger, je tuai un autre cheval (13 m.).

Il plut et neigea le 3 toute la journée. Nous ne pûmes parcourir que 9 milles. Nos chevaux furent déchargés pour pouvoir passer le long de la rivière; le bagage fut porté à bras. Nous marchions au nord-est. Le 4, il fallut quitter les bords de la rivière, et gravir les montagnes; elles s'étendoient tout autour de nous et étoient couvertes de neige; des pins et d'autres arbres verts croissoient sur les flancs de quelques-unes. La neige nous alloit au-dessus du genou; il faisoit un froid excessif; nous étions près de succomber à sa rigueur, quand nous eûmes le bonheur d'atteindre un bouquet de pins au coucher du soleil. Nous fîmes un bon feu qui nous soulagea. Quoique nous eussions marché toute la journée, nous n'étions qu'à 4 milles de notre halte de la veille à cause des sinuosités de la rivière.

L'abondance de la neige qui tomba le 5 ne nous permettoit pas de voir à trois cents pieds en avant de nous; nous réussîmes pourtant à parvenir au bord de la rivière en nous laissant glisser. Le bruit du courant nous guidoit. Un cheval tomba à quelques centaines de pieds de profondeur avec sa charge et ne se fit pas mal. Le climat étoit bien moins rude dans la vallée que sur les hauteurs; il y pleuvoit, la neige n'alloit que jusqu'à la cheville. Je tuai un autre cheval (6 m.).

Nous venions de partir le 6. Quels furent mon étonnement et mon chagrin! j'aperçus M. Crooks et sa troupe de l'autre côté de la rivière. Aussitôt je retournai au camp; je fis faire une pirogue avec la peau du cheval tué la veille, et j'envoyai de quoi manger à nos compagnons affamés. M. Crooks et un de ses gens vinrent à nous; pauvre homme ! il étoit presque épuisé de fatigue et de besoin: il m'apprit qu'il étoit allé à trois journées de marche plus bas; les montagnes y sont encore plus élevées et s'approchent davantage de la rivière; elle y est resserrée dans un canal qui n'a pas plus de soixante à cent pieds de largeur, entre des rochers escarpés: Il étoit impossible à des gens dans leur état de la passer, car depuis six jours ils n'avoient eu pour toute nourriture animale qu'un de leurs chiens. M. Mackenzie et M. Reed, avec leur troupe, avoient passé; M. Crooks leur avoit parlé peu de jours auparavant: ils lui avoient dit que M. Macclellan, en quittant la petite rivière, avoit traversé les montagnes, espérant rencontrer les Flatheads. La rivière, dans l'endroit où nous étions, coule presque à l'est; M. Crooks me dit qu'elle continue à suivre cette direction.

Je passai la nuit à réfléchir à ma position. J'avois à pourvoir aux besoins de plus de vingt individus affamés, et de plus à aider de tout mon pouvoir M. Crooks et sa troupe. Malgré tous les rapports décourageans que l'on m'avoit faits du pays au-dessous, j'aurois continué ma route par les montagnes, si la profondeur de la neige n'eût rendu l'entreprise impraticable, ainsi que je l'avois déjà éprouvé. Il fallut donc, à mon grand regret, retourner sur mes pas, cependant avec l'espoir de rencontrer des Indiens sur une des trois petites rivières au-dessus des montagnes: je comptois leur acheter une quantité suffisante de chevaux pour nous nourrir jusqu'à notre arrivée au Big-River, ce que je me flattois de pouvoir effectuer cet hiver. Je craignois néanmoins que M. Crooks et plusieurs de ses gens ne fussent pas capables de nous suivre. Quelle perspective! nous devions nous attendre à ne rien avoir à manger pendant quelques jours; car, en deçà des cabanes d'Indiens que nous avions quittées le 29 novembre, on ne trouve que des cerises, et peut-être ne s'en présenteroit-il plus dans les mêmes endroits.

La pirogue de cuir s'étoit perdue; on fit un radeau pour que M. Crooks et ses compagnons pussent passer de l'autre côté avec le reste de la viande; la tentative ne réussit pas. Nous fûmes réduits, le 7, à marcher lentement, parce que M. Crooks étoit si affoibli qu'il avoit beaucoup de peine à suivre. La plupart de mes gens avoient marché de l'avant.

Le 8, on fit un autre radeau; mais, après des tentatives réitérées, M. Crooks et son homme ne purent pas passer à cause de la violence du courant. Je fus donc obligé de les attendre. Alors mes gens murmurèrent, disant que nous allions tous mourir de faim, et m'excitèrent de toutes les manières à aller de l'avant. Pour ajouter à mon embarras, M. Crooks se trouva très-mal à son aise le soir. Voyant que cet accident différeroit de deux jours mon arrivée chez les Indiens, je laissai trois hommes avec lui, et je partis le 9 avec deux autres pour rejoindre ma troupe. J'avois trois peaux de castor, je leur en laissai deux. Nous soupâmes avec la troisième. Le temps étoit extrêment froid.

Je rattrapai mes gens, le 10, de bonne heure. Il ne nous restoit plus qu'un cheval qui appartenoit à Dorion, l'un de nos Canadiens. Ou proposa de le tuer; Dorion n'y voulut pas consentir: on jugea qu'il valoit mieux le laisser vivre jusqu'à ce qu'on se fût assuré si les cabanes des Indiens étoient encore au même endroit. J'approuvai ce parti d'autant plus volontiers, que le pauvre animal n'avoit plus que la peau et les os. Nous n'avions pas fait beaucoup de chemin quand nous rencontrâmes des cabanes de Chochonis descendus des montagnes depuis notre passage. Je m'approchai avec précaution, pour les empêcher de cacher leurs chevaux; ils en avoient vingt; ils nous en vendirent cinq; j'en fis tuer un sur-le-champ, et je dépêchai un homme à M. Crooks avec une portion de la viande. Plusieurs de mes gens n'avoient pas mangé depuis le 7, jour auquel ils m'avoient quitté.

Le 11, il nous arriva un nouveau malheur; un des hommes de M. Crooks se noya en passant la rivière dans une pirogue qui chavira avec beaucoup de marchandises. Je fis tuer un autre cheval; j'en laissai deux à M. Crooks avec une partie de la chair d'un autre, espérant qu'à l'aide de ce secours il pourroit se rendre chez les Indiens d'en haut.

Arrivé, le 13, aux cabanes que nous avions vues en descendant, les Indiens me cédèrent un cheval pour une vieille marmite d'étain et quelques grains de verroterie; ils avoient refusé une carabine.

Le 16, nous avons fini de sortir des montagnes, et nous avons campé sur les bords de la rivière que nous avions passée le 26 du mois dernier; ainsi, nous nous sommes fatigués inutilement pendant vingt jours à chercher un passage le long de la partie inférieure de la rivière. Le jour précédent, il avoit tombé de la pluie et de la neige; la rivière charioit de la glace; le temps étoit très-froid. Par bonheur pour nous, il y avoit en cet endroit une douzaine de cabanes de Chochonis arrivés depuis que nous y avions campé. Ils m'ont dit qu'il nous auroit été

possible de passer en suivant la rivière: cette nouvelle augmenta mes inquiétudes pour M. Mackenzie et sa troupe. Je remontai le long de la petite rivière le 17; je campai près d'un camp de Chochonis, auxquels j'achetai un cheval et un chien. Le 18, je me procurai un autre cheval, un peu de poisson sec, des racines, et des cerises broyées et séchées. Je passai la plus grande partie de la journée à prendre des informations sur notre route et sur le temps qu'il nous faudroit pour arriver chez les Sciatogas: ces Indiens différoient d'avis; ils s'accordèrent pourtant à dire que la route étoit bonne, qu'il nous faudroit dix-sept à vingt-une nuits pour arriver, et que, dans les montages, nous aurions de la neige jusqu'à la ceinture. J'offris un fusil, des pistolets, un cheval, etc., à quiconque voudroit me servir de guide: tous me répondirent que nous gelerions, et m'exhortèrent à rester avec eux pendant l'hiver.

J'essayai de nouveau, le 19, de me procurer un guide; j'envoyai à toutes les cabanes le long de la rivière; mes tentatives ne réussirent pas: je ne pouvois cependant pas m'en passer; c'eût été courir un risque certain de périr avec tout mon monde; rester en ce lieu étoit pire encore, après avoir marché si long-temps et tant dépensé. Je finis par dire aux Indiens qu'ils  parloient avec une langue fourchue, c'est-à-dire qu'ils mentoient; je leur dis qu'ils étoient des femmes; en un mot,j'employai les expressions les plus propres à les piquer; enfin, il s'en trouva un qui fut assez résolu pour entreprendre de nous guider jusque chez les Sciatogas: suivant le récit de nos Chochonis, ces Indiens habitent sur le revers occidental des montagnes et ont beaucoup de chevaux.

Je recommençai donc encore une fois mon voyage. Le 21, deux autres Indiens se joignirent à notre guide, qui nous conduisit sur-le-champ à notre Canoe-River. Il n'y trouva pas de pirogues de roseaux pour la traverser; alors on tua deux chevaux: on en fit une avec leur peau, et l'on passa. Je trouvai de l'autre côté treize des hommes de M. Crooks; ils me dirent que, depuis que nous l'avions quitté, ils ne l'avoient pas vu, non plus que les deux hommes qui étaient avec lui. Quand nous fùmes tous passé, ce qui ne fut effectué que le 23, mes gens reprirent courage; ceux de M. Crooks étoient extrêmement affoiblis et épuisés, et notamment quatre; ils me remirent un cheval et diverses marchandises. Trois hommes ayant témoigné le désir de rester parmi les Snakes, je leur donnai la pirogue et des marchandises; ils traverseront demain la rivière, et j'espère qu'ils ne tarderont pas à rencontrer M. Crooks et son monde.

Ma troupe comprenoit actuellement trente-deux blancs, une femme enceinte de plus de huit mois, ses deux enfans et trois Indiens. Nous n'avions que cinq chevaux chétifs pour nous nourrir pendant le passage des montagnes. Je quittai, le 24, le Canoe-River, dont nous conserverons tous un bien triste souvenir. Nous avons marché à l'ouest jusqu'au 29, traversant des collines par un chemin parfois assez uni, plus généralement inégal, mais toujours bon. Il tomba peu de neige, et un peu de pluie. Nous traversâmes, le 28, un ruisseau qui couroit au nord; les montagnes s'écartoient de chaque côté; à gauche, nous avions celle que nous devions franchir; elle se prolongeoit du nord au sud; elle étoit bien boisée et couverte de neige. Le 29, on eut un bon chemin dans une vallée unie, et l'on passa la rivière deux fois (106 m. O.).

Le 30, après avoir quitté la petite rivière dans l'endroit où elle s'enfonce dans les montagnes au nord, nous sommes arrivés dans une autre belle vallée, large de plusieurs lieues et très-longue: Un joli ruisseau y serpente, et les castors paroissent y être communs. Nous y avons heureusement rencontré six cabanes de Chochonis qui avoient beaucoup de chevaux. Ils nous en vendirent quatre, trois chiens et quelques racines. Ils me dirent que nous avions encore à dormir trois nuits avant d'arriver chez les Sciatogas, et me montrèrent l'ouverture dans les montagnes par laquelle nous devions passer: ils ajoutèrent qu'il n'y avoit pas beaucoup de neige; mais ils m'ont si souvent fait des rapports erronés, que je ne me fiai pas beaucoup à cette nouvelle, car de tous les côtés la neige blanchissoit les montagnes. La femme grosse étoit acouchée la veille au matin. Dorion, son mari, resta avec elle au camp pendant un jour; puis nous rejoignit le 31. Sa femme étoit à cheval avec son enfant nouvellement né dans les bras; un autre, âgé de deux ans, enveloppé dans une couverture, étoit attaché à son côté. On auroit dit, à son air, qu'il ne lui étoit rien arrivé (21 m. O.).

Mes gens me demandèrent à ne pas voyager le 1er janvier 1812, afin de célébrer la nouvelle année; j'y consentis volontiers, parce que la plupart étoient très-fatigués de ne faire par jour qu'un maigre repas de viande de cheval, et de porter sur leurs épaules leur paquet à travers les montagnes.

Du 2 au 7 janvier nous avons traversé la vallée, suivi pendant quelques milles dans les montagnes une petite rivière, et franchi beaucoup de collines couvertes de pins. Sur les hauteurs, nous avions de la neige jusqu'à la moitié de la jambe, quelquefois nous y tombions jusqu' à la ceinture, et nous manquions d'eau. Le 4, nous étions sur un point aussi élevé que les montagnes qui nous entouroient de toutes parts. Quelques-unes étoient boisées; la neige les couvroit toutes. Le temps étoit couvert et froid. Le 6, nous vîmes le soleil pour la première fois depuis notre entrée dans les montagnes; la neige diminua beaucoup: nous pûmes apercevoir à l'ouest un pays qui avoit l'apparence d'une plaine. Le 7, nous avons rencontré un petit ruisseau qui nous a menés à un passage très-étroit entre des montagnes d'une hauteur immense. On voyoit de tous les côtés des routes de cheval, pratiquées par les Indiens, pour chasser le cerf qui doit être très-commun, car nous en avons vu des troupes nombreuses à queue noire. La neige avoit entièrement disparu. L'enfant de Dorion mourut. Le soir, plusieurs hommes n'étoient pas arrivés au camp (68 m. O.).

La petite rivière va en joindre une autre plus considérable, près de laquelle nous aperçûmes, le 8, un camp de Sciatogas et de Toustchipas, composé de trente-quatre cabanes. Ils avoient au moins deux mille chevaux. Leurs cabanes sont en nattes. Ils sont vêtus de bonnes robes de bison ou de cerf, ont des chemises et des chausses de cerf, et, à tous égards, leurs habillemens valent ceux des nations indiennes les mieux pourvues. Ils ont dans leur ménage des marmites et des pots de cuivre, ainsi que d'autres objets qui annoncent des communications indirectes avec les habitans de la côte maritime. Ils ont aussi des haches: un maillet en pierre, artistement travaillé, leur sert à broyer les racines, les cerises et d'autres fruits, ainsi que le poisson: des morceaux pointus de ramure d'élan leur tiennent lieu de coins pour fendre le bois. Les femmes ont des bonnets de rameaux de saule très-proprement faits, et ornés de figures. Les vaisseaux pour contenir l'eau sont aussi en saule; ils y font cuire la viande en y jetant des pierres rougies au feu; actuellement, les marmites de cuivre ont la préférence; il y en a toujours trois à quatre suspendues dans la cabane (15 m. O.).

Ces Indiens me firent bien plaisir en me disant que des blancs étoient arrivés au Big-river, qui est à deux journées de marche. Il paroît que, dans cet endroit-ci, l'herbe croît pendant tout l'hiver, car les flancs des montagnes étoient verdoyans.

Tous mes gens me rejoignirent, à l'exception du canadien Carrière. On l'avoit vu, la veille après midi, à cheval derrière un Indien Snake, devant la loge duquel nous avions passé à quelques milles de notre camp de la nuit dernière, etc.

Je ne puis assez exprimer ma gratitude envers la providence pour nous avoir fait arriver ici; car nous étions tous très - fatigués et affoiblis. Il nous restoit deux chevaux qui n'avoient que la peau et les os. Le soir, nous n'eûmes à manger qu'un peu de viande de cerf assez maigre et des racines.

Je restai six jours dans cet endroit. J'y achetai huit chevaux et deux poulains; nous en mangeàmes deux, et j'en remis deux à nos guides à compte de ce que je devois leur payer. Quelques-uns de mes gens en achetèrent aussi; plusieurs hommes étoient malades, ceux - ci pour avoir trop mangé, ceux - là pour s'être nourris de racines; d'autres étoient boiteux. Le dernier jour chacun se fit des mocassons et se prépara pour la continuation du voyage. J'avois envoyé deux hommes à la recherche de Carriere; ils ne le trouvèrent pas. Ce malheureux avoit peut-être pris une route de chasse des Indiens et s'étoit ainsi égaré. Les Snakes ayant transporté ailleurs leurs cabanes, mes gens ne purent recueillir aucune information sur son compte. Les Sciatogas portèrent aussi leurs huttes à une journée de marche plus bas le long de la rivière.

Nous nous remîmes en route le 15, et nous atteignîmes le camp des Sciatogas sur le bord de l'Euotalla. Ils nous parlèrent d'une rivière située plus haut; ils la nommoient Oualla-Oualla. Je suppose, d'après la carte de Clark, que c'est la petite rivière dont il place le confluent avec la Columbia, près de bancs de coquillages. D'après ce que j'ai appris, le Canoe-River est le Kemoe-noum de Lewis (15 m. N. O.).

Ces Indiens avoient du cerf; mais ils vouloient le vendre si cher, que je ne pus pas en acheter. Ils chassent ces animaux en les poursuivant à cheval et les entourant; ils se servent de l'arc et des flèches avec une dextérité singulière et sont excellens cavaliers.

Il plut si abondamment durant notre séjour sur les bords de l'Euotalla, qu'il gonfla; avec une rapidité prodigieuse. Nous fûmes obligés de lever notre camp avec précipitation. Trois de nos chevaux, attachés à des pieux dans le terrain le plus bas, furent noyés. Les Indiens furent aussi contraints de porter leurs cabanes plus haut. Je leur achetai quatre chevaux. Je désirois en avoir un certain nombre, parce que les Indiens me dirent que, sur le Big-river, je pourrois acheter une pirogue pour un de ces animaux. Ils ajoutèrent que, dans six nuits, je serois aux chutes.

Le 19, je continuai à descendre l'Euotalla. Les castors doivent y être communs, car divers endroits sont remplis de leurs digues. Plusieurs de mes gens voyagèrent à cheval, j'en fis autant. Nous vîmes, de l'autre côté de la rivière, des cabanes des Indiens Akaïtchis qui demeurent sur le Big-river. Un d'eux vint à la nage à notre camp. Il m'apprit, sur les blancs qui avoient précédemment descendu la rivière, des particularités qui me satisfirent beaucoup (15 m. N. O.).

J'achetai encore un cheval aux Sciatogas qui avoient de nouveau porté leur camp plus bas, et je pris congé d'eux. Ce sont les plus propres des Indiens que je connois; de même que tous les autres, ils sont très-fiers. Ils ne mangent ni chiens ni chevaux; ils ne souffroient pas que l'on portât dans leurs cabanes la chair d'aucun de ces animaux. Je leur fis grand plaisir en leur disant que je reviendrois chez eux avec des marchandises pour les échanger contre des castors. Ils en ont déjà quelques peaux, et racontent une histoire fort confuse de blancs qui viennent traiter, leur donnent du tabac et fument avec eux. L'un d'eux a, disent-ils, une maison sur le Big-river. Mes Canadiens supposent qu'il est question d'un agent de la compagnie du nord-ouest. Nous nous sommes éloignés de I'Euotalla (12 m. O.).

Enfin, le 21, nous sommes arrivés sur les bords de la Columbia, depuis si long - temps l'objet de nos vœux. Nous venions de parcourir 1751 milles, nous avions supporté toutes les fatigues imaginables. J'exprimerois difficilement notre joie à  la vue de ce fleuve. Il avoit trois quarts de mille de largeur. Ses bords étoient dénués d'arbres et formés par des cailloux, et en quelques endroits par des rochers escarpés (10 m.).

Ils étoient habités par les Akaïtchis, Indiens misérables qui n'ont ni mocassons ni chausses; leur vêtement ne consiste qu'en un morceau de robe de peau de bison, de cerf, de lièvre ou de renard, ou bien de canard. Ils y ajoutent quelquefois une paire de manches en peau de loup. Leurs cabanes sont bien faites en nattes, et de la forme du toit d'une maison; elles sont très-légères et chaudes. Des trous, creusés dans le sol et garnis de nattes, sont le poste des femmes. Elles sont généralement nues; quelques-unes ont un lambeau de robe qui leur couvre les épaules, mais toutes ont autour de la ceinture une bande de cuir qui leur passe entre les cuisses et prouve qu'elles aspirent è être décentes. Au reste, ces Indiens sont mieux pourvus de vivres que les Snakes, car il paroît que le saumon séché abonde chez eux. Ils nous donnèrent beaucoup de truites saumonnées fraiches; ils les prennent à l'embouchure de l'Euotalla. Ce poisson est excellent. Leurs pirogues sont en troncs de pin fendus en deux; par conséquent elles ne sont pas élevées de l'avant ni de l'arrière. N'ayant aucune espèce d'outil, ils ont recours au feu pour creuser ces arbres.

Je traversai le fleuve, parce qu'on me dit que la route passoit le long de sa rive droite ou septentrionale. Je partis le 23, après avoir acheté du poisson frais et neuf chiens. La route le long du fleuve étoit fort bonne. Nous avons campé près d'un camp d'Indiens qui avoient une cinquantaine de pirogues. J'achetai neuf chiens qui étoient fort gras; nous fîmes un repas délicieux. Leur chair nous parut savoureuse, saine et fortifiante, tandis que la chair de cheval, quoique bien rôtie, ne nourrissoit pas, quelque quantité qu'on en mangeât. Le temps étoit beau et fort doux, semblable aux beaux jours du mois d'octobre (12 m.).

Du 24 au 28, nous suivîmes le fleuve qui couloit à peu près droit à l'ouest. Ses bords étoient généralement nus. Nous rencontrions fréquemment des cabanes d'Indiens; ils nous vendirent des chiens; ils mettoient un si haut prix à la viande d'élan et de cerf, que je ne pus pas en acheter. Ils nous causoient d'ailleurs de grands embarras, parce qu'ils voloient les liens des chevaux qui s'échappoient et nous faisoient perdre beaucoup de temps pour les rattraper; quelquefois ils emmenoient ces animaux et les cachoient. Ces Indiens mangeoient des glands; ils me dirent qu'à une petite distance du fleuve, on trouve beaucoup de chênes blancs (57 m. O.).

Le 28, le pays devint très-montueux. Les Indiens me parurent moins malheureux. Ils me parlèrent de blancs qui avoient bâti une grande maison à l'embouchure du fleuve, l'avoient entourée de pieux, etc. Ils n'y étoient pas allés, mais ils me contèrent que les blancs étoient dans un grand chagrin, qu'ils attendoient un grand nombre de leurs amis, et regardoient sans cesse du côté de Big-river; que, lorsque nous serions arrivés, ils essuieroient leurs larmes, chanteroient et danseroient.

Les montagnes et les rochers 1e long du fleuve devinrent plus fréquens le 29. Les Indiens que nous vîmes avoient beaucoup de chevaux; nous commençâmes à faire la garde pendant la nuit (15 m.).

Nous avons campé, le 30, vis-à-vis de l'embouchure du Chochoni-river, nommé par les Indiens Tou-el-Ka. Ceux-ci s'étoient rassemblés en très-grand nombre pour danser en honneur de notre arrivée. Mais cette foule nombreuse me déplaisoit; je prétextai donc une indisposition, et je les priai de me laisser tranquille. Ils se conformèrent à mes désirs au bout d'un certain temps (14 m.).

Le 31, nous avons passé devant les chutes de la Columbia que nous avions aperçues la veille. La principale étant à la rive méridionale, je ne pus pas la voir. Le cours du fleuve est barré par des rochers à travers lesquels l'eau se précipite avec violence par plusieurs canaux.

Un village, nommé Ouaïoumpoum, est situé à la rive septentrionale du fleuve, au point où commence la chute. Les Indiens ont un nom particulier pour chaque camp composé de plus d'une cabane, et aiment beaucoup à le dire aux étrangers.

J'arrivai de bonne heure au village d'Ouichram, à l'entrée du long défilé dans lequel le fleuve s'est ouvert, dans le roc, un canal large de 200 à 240 pieds, et long de plusieurs milles. C'est le lieu de la grande pêche de la Columbia; il ressemble aux petits ports de pêche de la côte orientale des États-Unis. On voit des deux côtés du fleuve de grands échafauds fort propres en claies, pour faire sécher le poisson; la terre est couverte d'arêtes et de têtes de, poissons. Au printemps, quand les eaux du fleuve sont hautes, les saumons arrivent en troupes si nombreuses, que les Indiens les prennent avec des filets en poches ajustés au bout de perches; ils se placent, à cet effet, sur la pointe des rochers les plus saillans.

Les Indiens de ce lieu sont les plus spirituels que j'aie rencontrés jusqu'à présent. L'un d'eux savoit quelques mots d'anglois: il m'a raconté que M. D. Stuart étoit allé sur un des affuens septentrionaux de la Columbia pour y passer l'hiver; il l'a vu dans son établissement. Il me raconta la catastrophe de M. Mackay et du navire le Tonquin.

Nous avons vu aujourd'hui de petits chênes blancs. Le pays devenoit plus inégal, les montagnes étoient plus considérables. Un peu audessous des chutes à la rive gauche, il y à une cime couverte de neige, que j'avois commencé à voir le 20 de ce mois, je suppose que c'est le Mont Hood de Vancouver (12 m.).

1er février. Un grand nombre d'Indiens se rassemblèrent hier au soir près de mon camp; ne trouvant pas l'occasion de voler des chevaux ou des marchandises, ils s'avisèrent d'un singulier stratagême pour obtenir quelque chose. Ils nous racontèrent qu'une quarante d'Indiens venoient du bas du fleuve pour nous attaquer et prendre nos chevaux. Nous fîmes peu d'attention à leurs discours; ensuite des chefs du village arrivèrent armés de couteaux, de lances, etc., répétant la même chose, et ajoutant qu'ils vouloient rester avec nous. Je les reçus très-froidement, et leur donnai une pipe à fumer; puis je réunis tout mon monde, et je plaçai des sentinelles sur différens points. Cette mesure produisit l'effet que j'avois désiré. Les Indiens s'en allèrent bientôt, et l'on m'amena un homme qui, me dit-on, étoit le chef du village dont les habitans devoient nous attaquer; on lui donnoit tout l'honneur d'avoir dispersé la foule. Je fumai encore avec eux; et, un peu avant le jour, ils s'en retournèrent tous chez eux. Les coquins s'imaginoient qu'en m'effrayant, je leur aurois donné deux à trois chevaux pour m'assurer le reste. Comme il s'en étoit échappé un la soirée précédente et qu'on ne l'avoit pas retrouvé le matin, je le vendis pour deux ballots de saumon sec et broyé, pesant chacun soixante-dix livres. Nous avons campé sur les collines au milieu de broussailles, de pins et de chênes (10 m.).

Je ne pus me procurer qu'une pirogue pour laquelle je payai un cheval. Les Indiens en ont un grand nombre; elles sont très-bien faites, en bois de pin, élévées à l'avant et à l'arrière; quelques-unes peuvent porter trois milliers. Malgré mes injonctions pour que l'on fît bonne garde, les Indiens nous avoient volé une hache: encouragé par ce succès, plusieurs nous suivirent le 2, et nous dérobèrent deux carabines; et, quoique nos chevaux fussent dans notre camp, ils en enlevèrent un à onze heures du soir. Je m'embarquai le 3 dans la pirogue avec toutes nos marchandises, et j'envoyai mes chevaux en avant.

Je rencontrai mon monde à un village à l'embouchure de l'Oatarack, à la rive droite; j'y achetai trois pirogues qui me coûtèrent chacune un cheval. Pendant que je traitois, les indiens volèrent un tomahâk et notre dernière hache. Ils enlevèrent aussi le cheval de Dorion, qui paissoit près de sa tente, ce Canadien ayant eu la simplicité de la placer à une certaine distance des nôtres (9 m.).

La violence du vent m'obligea, le 4, de rester, bien malgré moi, parmi cette race de voleurs; j'achetai encore une pirogue pour un cheval. Le lendemain j'échangeai, à un village où j'arrivai, les trois chevaux qui me restoient pour deux pirogues. Il paroît que la route se termine à ce village; les collines deviennent des montagnes qui sont la plupart couvertes de neige; on y voit des pins; elles bordent le fleuve des deux côtés; des peupliers, des chênes et des frênes croissent sut le rivage, des chênes sur les collines les plus proches.

La pluie extrêmement abondante et la tempête me retinrent plusieurs jours vis-à-vis d'un village d'Indiens. Un Clatsop vint nous voir, et me parla de l'établissement à l'embouchure du fleuve, ainsi que du malheur de M. Mackay; c'étoit le troisième qui me donnoit cette nouvelle affligeante. Cet Indien, qui savait quelques mots d'anglois, me demanda des nouvelles de MM. Lewis et Clark et de quelques-uns de leurs compagnons; cependant il avoit appris la mort de M. Lewis (26 m.).

Le vent s'étant appaisé le 10, on s'embarqua de bonne heure. Arrivé au commencement des grands rapides (15 m.), j'examinai le portage à la rive gauche; la route étoit bonne sur la longueur d'un mille; on mit toutes les pirogues à terre, à dix heures, et, avant une heure, nous étions au-dessous des rapides; ils sont très-considérables; l'eau, en se brisant contre les rochers, produit des vagues très-hautes. Aucun bateau ne pourroit passer, au moins dans l'état actuel du fleuve, qui est très-resserré entre les collines et les rochers. Depuis cet endroit, les chênes et les frênes deviennent plus communs; on voit une quantité de noisetiers. Il y a à ces rapides une seconde pêcherie de saumons, un village â la rive droite et trois cabanes au côté opposé. La verroterie bleue est la marchandise que ces Indiens préfèrent. Les nombreux ruisseaux qui se précipitent du haut des montagnes par-dessus les rochers ajoutent à la beauté du paysage (16 m.).

Le 11,  des rapides qui occupoient un espace de deux milles nous forcèrent encore de tirer nos pirogues à terre; enfin, à huit milles du grand rapide, on rencontre le dernier; au-dessous, le fleuve reprend sa largeur ordinaire, qui est de trois quarts de mille; les collines s'abaissent et s'éloignent de ses bords; l'espace intermédiaire est couvert de pins, de chênes, de frênes, de peupliers, d'érables, de coudriers et de saules (12 m.).

Je passai, le 13, devant l'embouchure du Quicksand-river; il se jette à la rive gauche de la Columbia par deux embouchures qui forment une grande barre sablonneuse. Vingt milles plus bas et du même côté, la Columbia reçoit une autre rivière qui a près de 1800 pieds de largeur. Une grande île est devant son embouchure; il y en a plusieurs petites un peu au-dessous. La Columbia a maintenant un mille et un quart de largeur. On voit des deux côtés de vastes espaces couverts de joncs, quelquefois de petites prairies, et souvent des étangs. Les phoques étoient nombreux. Nous avons vu bien plus distinctement qu'auparavant la montagne dont j'ai parlé plus haut, et je ne doute plus que ce ne soit le mont Hood de Vancouver. Depuis deux jours, lé vent souffloit de l'est avec violence; il tombait de la grêle, de la pluie et de la neige (52 m.).

Le 14, les montagnes se rapprochèrent de nouveau. Nous avons campé à l'embouchure d'une petite rivière à la rive droite. Les Indiens nous parlèrent de l'établissement de nos compatriotes, ajoutant que nous n'avions plus qu'une nuit à dormir avant d'y arriver (36 m.).

Nous avons passé, le 15, devant plusieurs grandes îles. Le terrain, à la rive gauche, étoit couvert de chênes et de frênes, mais tout étoit inondé. Je m'arrêtai à des cabanes d'Indiens où je trouvai quatre de nos compatriotes qui traitoient de l'esturgeon, et pêchoieint de petits poissons excellens qui ont à peu près six pouces de long. Les Indiens les nomment othlecan, et en prennent beaucoup au printemps. Nous avons campé sur deux îles basses à la rive gauche (27 m.).

Nous avions, dans notre navigation, rencontré fréquemment des cabanes d'Indiens qui nous avoient vendu des chiens, du saumon séché, des peaux de castor, de la racine d'ouapatou, qui est l'ouapasippin du Mississipi, enfin des othlecans.

Le 16, nous partimes de bonne heure; il avoit plu pendant toute la nuit. Le brouillard étoit si épais, que nous ne pouvions voir que les terrains bas et de petites îles. Tout était inondé. La brume se dissipa l'après midi â la marée haute. Je reconnus que nous naviguions le, long d'une grande baie, et bientôt après j'aperçus le fort d'Astoria â la rive méridionale. (30 m.).

J'eus le plaisir d'y retrouver MM. Mackenzie et Macclellan, qui étoient arrivés depuis plus d'un mois, après avoir souffert des fatigues incroyables.

J'avois marqué le 16 février dans mon journal; on ne comptoit ici que le 15. Ce fut une bien vive jouissance pour des voyageurs harrassés de fatigue de se reposer tranquillement, entourés d'amis, après une course si longue au milieu de peuples sauvages dont il est toujours prudent de se défier.

Nous avions parcouru 2073 milles depuis le village des Aricaras.